Vous le savez peut-être, ou pas, mais 2023 est une année d’élection à Madagascar. L’élection du président se fait en deux tours, qui sont programmés les 9 novembre et 20 décembre prochain. Comme dans un certain nombre d’autres pays, cela engendre une situation un peu délicate, à l’approche des élections. Du coup je vous propose quelques éclaircissements, sachant que je ne soutiens aucun camp, je cherche juste à expliquer la situation. Et vous dire comment nous le vivons de l’intérieur, en tant qu’expat.
Revenons un peu en arrière. Début septembre, les potentiels candidats devaient déposer leur dossier de candidature, avec un certains nombres de documents et une caution assez conséquente. 28 personnes se sont portées candidates, mais seules 13 personnes ont été retenues. En effet, plusieurs n’ont pas payé la caution ou n’avaient pas tous les documents requis.
Un point qui a fait polémique, c’est la nationalité de l’actuel président, qui compte se représenter. En effet, le président a acquis la nationalité française, il y a quelques années. Or la constitution malgache stipule que tout adulte qui acquiert une autre nationalité, perd la nationalité malgache. Ainsi, on peut être bi-national malgacho-qqch seulement si on l’a reçu comme enfant. Mais cette disposition n’a apparement jamais été appliquée. Du coup, la candidature du président a été acceptée, malgré les critiques de ses opposants.
Suite au dépôt de sa candidature, le président a dû démissionner. En effet, la constitution prévoit qu’un président qui souhaite se représenter doit démissionner 2 mois avant le scrutin, il a donc démissionné le 9 septembre. Pour l’intérim, c’est normalement le président du sénat qui est sensé l’assurer. Mais ce dernier a décidé d’y renoncer pour des raisons personnelles. Ainsi, la haute cour constitutionnelle a nommé un gouvernement collégial, dirigé par le 1er ministre.
A première vue, de mon point de vue de Suissesse, nommer un gouvernement collégial plutôt qu’une personne seule, me paraît une bonne idée. Mais plusieurs adversaires au président sortant estiment que la haute cour constitutionnelle n’aurait pas dû procéder de la sorte.
Du coup, 11 des 13 candidats se sont réunis en un « collectif » avec plusieurs revendications. Premièrement invalider la candidature du président sortant (considéré comme français et pas malgache). Ensuite, ils contestent le gouvernement par intérim. Enfin, ils reprochent un manque de transparence dans le processus électoral. Il y a eu ces dernières semaines de nombreuses séances afin de trouver des solutions, organisées par différentes instances. Mais aucune séance parvenant à rassembler, à une même table, l’ensemble des candidats.
La semaine dernière, le collectif des candidats a demandé à rassembler ses partisans dans un grand stade, mais ils n’ont pas reçu l’autorisation de le faire. Samedi et dimanche, nous étions en ville et nous avons constaté le déploiement d’un grand nombre de policiers.
Lundi, le collectif a appelé à manifester pacifiquement mais il n’a pas reçu d’autorisation. Cette première manifestation a été réprimé par des grenades lacrymogènes et quelques arrestations (notamment un garde du corps d’un candidat, qui était armé). Mardi, une manifestation plus calme a eu lieu, avant une rencontre avec le conseil œcuménique des églises, en vue d’une médiation. Suite à cela, la manifestation a été suspendue mercredi. Mais faute d’accord, elle a repris de manière pacifique jeudi et vendredi. Les candidats ont choisi de distribuer des choux-fleurs en guise de pacifisme.
Nous avons suivi cela via les médias, évitant d’aller dans le centre ville, bien entendu. Et il est difficile de bien comprendre la situation et de se faire une opinion. Il y a de nombreux appels au calme et à la tenue d’une élection dans de bonnes conditions.
Aujourd’hui, les autorités ont proposé au collectif de rassembler ses membres dans un théâtre à ciel ouvert, le Colisée. Mais il semblerait qu’ils aient choisi de manifester dans la rue, se heurtant une nouvelle fois aux forces de l’ordre, usant à nouveau de gaz lacrymogène.
La campagne présidentielle est censée débuter ce mardi, un mois avant le premier tour. Je me questionne sur comment cela va se passer. Est-ce que les candidats de l’opposition vont se lancer dans la campagne et arrêter les manifestations? Vont-ils continuer à manifester jusqu’à obtenir une situation satisfaisante pour eux? Est-ce que le mouvement va prendre de l’ampleur?
Beaucoup de questions et je pense qu’il est très difficile aujourd’hui de prédire la suite. Pour l’instant, nous avons évité le centre ville pendant une semaine, et certaines de nos réunions ont été annulées. Si les manifestations se poursuivent, ça pourrait devenir compliqué pour nous et pour nos collègues. Surtout qu’il est difficile de savoir en temps réel ce qui se passe et les choses évoluent très rapidement, de manière parfois assez surprenante (un couvre-feu nocturne a été décrété vendredi vers 20h et il a été levé 1h plus tard).
Prions pour qu’une solution pacifique et acceptée par tous puisse être trouvée, dans l’intérêt du peuple malgache. Et espérons que les politiciens ne penseront pas qu’à eux-mêmes, mais à l’ensemble de la nation, qui n’a vraiment pas besoin d’une crise politique.