À Madagascar, on dit souvent qu’on est au pays du mora mora, ce qui veut dire, que les choses avancent tranquillement. Mais en fait, j’ai plutôt envie de dire que nous sommes au pays du temps élastique. Pour expliquer cela, je vais vous parler un peu du projet de bibliothèques mobiles sur lequel je travaille depuis quelque temps.
Lors de mes premières visites dans les écoles en octobre et novembre, un constat revenait partout, le manque d’accès aux livres pour les élèves. Du coup, plusieurs écoles voulaient construire ou rénover une salle de bibliothèque. Mais sans se préoccuper vraiment du contenu, et les locaux prévus ne me paraissaient pas adaptés. Du coup, j’ai proposé de lancer le concept de bibliothèques mobiles, c’est à dire des caisses de livres, selon les âges des élèves, et qui sont directement amenées dans les classes. Ainsi, au lieu de dépenser du temps, de l’énergie et de l’argent à construire une bibliothèque, nous nous concentrons sur le contenu, les livres et sur les activités à mettre en place avec les enseignants.
Ainsi, j’ai commencé à travailler sur le contenu en janvier, avec comme première étape de sélectionner des livres en malgache et en bilingue malgache-français. Il m’a fallu pas mal de temps pour me familiariser avec les différentes maisons d’éditions, les librairies,… les infos trouvées sur Internet sont lacunaires. Une fois qu’on pense avoir trouvé quelque chose, l’édition n’existe plus, l’info n’est pas à jour… Dans les librairies, le choix est restreint, ils n’ont pas tout, et souvent, les libraires ne nous permettent pas de feuilleter les livres de peur qu’on les abîme. Difficile de sélectionner un livre sur la base du titre, qui plus est en malgache…
Début avril, je me trouvais devant une énorme montagne et je la gravissais mora mora, sans voir la fin. J’avais un début de liste de livres, mais pas grand chose de concret.
Et tout à coup, le temps est devenu élastique. Lundi 17 avril, j’ai trouvé par hasard l’information qu’il y avait une foire aux livres à Tana, du 17 au 21 avril (oui, l’information était bien pour cette année!), avec la présentation de différentes éditions. J’ai pu m’y rendre le vendredi, avec en plus l’accord de pouvoir acheter déjà un livre de chaque qui paraissait intéressant (que je me ferais rembourser ensuite). J’ai du coup pu acquérir une trentaine de livres différents et avoir des contacts directs avec plusieurs maisons d’éditions. Tout de suite beaucoup plus concret en quelques heures.
J’ai continué mes prospections, le temps s’est à nouveau ralenti. J’ai pu discuter avec des formateurs sur la pertinence des livres achetés et sur d’autres dont je n’avais que le titre. Mi-mai, j’ai validé une première série de livres avec les formateurs et dans la lancée, je suis allée visiter 4 nouvelles librairies. 2 étaient décevantes, pas de livres pour enfants en malgache. Mais dans 2 autres, j’ai pu acheter une cinquantaine de nouveaux livres, dont certains dont je n’avais que le titre et d’autres dont je ne connaissais même pas l’existence.
Finalement, jeudi dernier, j’ai eu le feu vert pour lancer toutes les commandes. Ce que j’ai fait ce mardi, en espérant que tous les titres seraient disponibles à suffisamment d’exemplaires. Je m’attendais à devoir patienter, mais pour les 4 commandes envoyées par e-mail à différents éditeurs, j’ai eu des réponses le jour même, au minimum un accusé de réception. Je suis allée en personne chez un 5ème éditeur mercredi matin. Résultat: 4 commandes sur 5 seront prêtes pour demain (avec seulement 2 ou 3 titres épuisés sur plus de 80 commandés). Et dans ce temps élastique, j’ai pu obtenir cet après-midi les chèques pour régler les différentes commandes (sachant que cela demande une validation et une double signature, donc souvent assez long, mais là, ça s’est fait en moins de 24 heures).
Donc pour moi, le mora mora, ce n’est pas forcément que tout prend du temps. C’est plutôt qu’on s’occupe d’une chose après l’autre et parfois, les choses peuvent aller très vite, il suffit d’actionner les bons leviers au bon moment. Et d’autres (comme nos visas définitifs, que nous n’avons pas encore…) peuvent durer une éternité.
Mon projet de bibliothèques mobiles a donc pris un coup d’accélérateur bienvenu, mais il reste encore du travail… nous devons préparer des caisses/présentoirs pour ranger les livres, mais aussi et surtout, le contenu de la formation pour les enseignants qui aura lieu début juillet. Je me réjouis d’y être, même si je vois bien qu’on a encore du pain sur la planche, et le temps va certainement encore jouer à l’élastique.